Les rapports du GIEC qui se succèdent sont alarmants. Je ne vous apprends rien : nous assistons à la sixième extinction de masse et la pollution provoque des maladies et des décès prématurés. En outre, le réchauffement de la planète entraîne des incendies, des canicules, des sécheresses extrêmes, la diminution des récoltes, de fortes précipitations, des cyclones, des crues, la rareté de l’eau potable, des déplacements de population, etc.
Cependant, malgré une prise de conscience massive de l’urgence écologique, la majorité d’entre nous continue de vivre comme si de rien n’était. Certains modifient quelques-unes de leurs habitudes : trier les déchets, acheter une gourde, couper l’eau lors du brossage des dents. Est-ce suffisant pour réduire par cinq nos émissions de CO2 comme le préconisent les accords de Paris ?
Si vous lisez notre article et naviguez sur notre site, c’est probablement que vous vous voulez agir à titre individuel, mais aussi vous engager professionnellement pour changer les mentalités et participer à l’élaboration d’un avenir radieux.
Néanmoins, notre bonne volonté bute la plupart du temps contre nos erreurs de jugement. Notre cerveau est un outil incroyable, mais, comme nous devons prendre des décisions rapides au fil de notre journée, son fonctionnement implique d’avoir recours à des croyances, des raccourcis, c’est-à-dire un certain schéma de pensée que l’on nomme : biais cognitifs.
Or, nous sommes de plus en plus assaillis par les informations et les avis divergents. Ceci peut être un frein à une réflexion plus approfondie et au changement. Voyons dans cet article les biais cognitifs qui nous empêchent de développer notre esprit critique et d’agir efficacement pour protéger la nature, ainsi que les solutions qui existent face à ce problème.
Démasquer les biais cognitifs
Lorsque nous acquérons, traitons et diffusons l’information, nous déformons nécessairement ces dernières. Ce processus naturel a des conséquences sur nos représentations et nos perceptions à titre individuel, mais également à l’échelle de la communauté.
Certes, il nous sert à agir au quotidien et à ne pas nous trouver paralysés face aux choix qui se présentent à nous. Toutefois, ce manque d’objectivité peut nous empêcher d’atteindre nos objectifs.
Il faut alors prendre conscience des biais cognitifs de notre cerveau et éviter, de surcroît, de se faire influencer par d’autres individus qui les connaissent très bien et peuvent s’en servir pour leurs propres intérêts.
D’où proviennent nos biais cognitifs ?
Les biais cognitifs sont les conséquences des règles approximatives, soit les automatismes de notre cerveau, qui simplifient une tâche cognitive trop complexe (ce qu’on appelle les heuristiques) et qui répondent à des besoins psychologiques. Voici 4 automatismes principaux qui se déclenchent régulièrement dans notre cervau :
- Le trop-plein d’informations.
À chaque instant, notre cerveau reçoit beaucoup de données brutes qu’il doit traiter. Nous ne pouvons évidemment pas nous souvenir de la moindre chose et tout examiner en même temps. C’est pourquoi notre cerveau sélectionne des bribes qu’il juge susceptibles de nous être un jour utiles.
Pour faire ce tri, nous allons par exemple plus facilement retenir les choses bizarres ou un changement visible, mais également ce que nous possédons déjà en mémoire ou qui confirme nos convictions.
Le problème : nous laissons passer des informations qui s’avèrent en réalité importantes et profitables.
- La conservation des souvenirs.
Parmi les informations qui ont été préalablement triées, certaines vont être conservées plus ou moins longuement et vont même se modifier dans le temps. En effet, nous ne gardons que le nécessaire pour optimiser notre mémoire, c’est-à-dire les généralités ou les éléments clés des événements.
De plus, les souvenirs s’ancrent différemment selon l’expérimentation que l’on en a : distraction, accessibilité de l’information, émotion, etc.
Enfin, pour faire sens avec les autres informations ou bien à cause de l’action de nos émotions ou de notre imagination, nous altérons nos souvenirs, voire nous en créons de nouveaux. On voit bien ici les erreurs que cela peut engendrer et leurs éventuelles conséquences néfastes.
- La nécessité d’agir vite.
D’une part, nous ne pouvons pas nous permettre de nous éterniser sur chacune de nos actions en l’analysant de manière approfondie : manger, se laver les dents, s’habiller, etc. Nous n’aurions tout simplement pas de temps pour faire tout ce que nous devons accomplir pour vivre, ni d’énergie pour les tâches complexes ou enrichissantes.
D’autre part, en situation d’urgence, nous devons être capables d’agir rapidement, c’est alors une question de survie : poser un plat brûlant, se retenir si l’on tombe, ralentir son véhicule si un piéton s’apprête à traverser, etc.
C’est pourquoi notre cerveau passe le plus souvent directement aux conclusions, ce qui peut aboutir à des injustices ou à une contre-productivité.
- Le besoin de sens.
Étant donné que nous ne pouvons pas avoir accès à toutes les informations et encore moins tout retenir, nous sommes obligés de faire des liens entre les données recueillies et nos souvenirs. Nous produisons donc du sens en extrapolant à partir de généralités, en imaginant des choses ou les pensées d’autrui selon nos préférences et de ce que nous vivons au quotidien, en simplifiant les détails.
En construisant ces liens et notre modèle mental, nous créons en parallèle des illusions dont il est ensuite difficile de se défaire.
Maintenant que vous avez vu comment fonctionnent ces 4 automatismes, voyons plus en détail pourquoi ils peuvent être responsables (en partie) de notre inaction envers la nécessité de protection de l’environnement.
Quelques biais cognitifs de l’inaction face à l’urgence climatique
Nous vous présentons ici une sélection des 6 principaux biais cognitifs liés au thème de l’environnement, mais vous pouvez tous les retrouver sur le codex des biais cognitifs, que nous vous conseillons de lire pour aller plus loin dans ce domaine.
- Biais d’inertie.
Face à une tâche immense ou très complexe, nous avons tendance à… ne rien faire du tout. Quand on ne sait pas par où commencer pour protéger la biodiversité, préserver l’eau, réduire les déchets, diminuer la pollution de l’air, etc., on ne commence jamais.
Rappelez-vous ce que nous avons vu précédemment : notre cerveau a déjà beaucoup à faire entre le tri des informations, la mise en mémoire, la gestion de l’urgence au quotidien, etc. Alors il préfère éviter le changement, car cela lui demande beaucoup d’énergie et son objectif à lui est de l’économiser. Notre volonté est donc soumise à rude épreuve : il faut 66 jours en moyenne pour changer une habitude. Cela a de quoi décourager.
- Biais de disponibilité mentale.
Nous ne pouvons pas tout retenir et sommes constamment sollicités par les tâches quotidiennes. Par conséquent, nous utilisons ce qui nous vient directement à l’esprit sans chercher de nouvelles informations pour juger d’une situation et pour agir ou plutôt, en ce qui concerne l’environnement, ne pas agir. Le chemin de pensée pourrait être le suivant : » on recycle bien en France, je n’ai pas besoin de diminuer mes déchets « .
- Biais de confirmation.
Il est beaucoup plus facile, et donc moins énergivore pour le cerveau, de rester sur ses acquis. Nous avons tendance à retenir uniquement les informations qui confirment nos convictions, qu’elles soient politiques, religieuses ou idéologiques. Les autres idées sont même minimisées et mises à l’écart sans être analysées.
- Biais de surconfiance.
Pour éviter l’action et la remise en question, nous pouvons être sujets à des excès d’optimisme. Dans le cas de l’environnement, cela se manifeste par la confiance envers les scientifiques ou les hommes politiques pour résoudre les problèmes de changement climatique.
- Biais du temps présent.
Notre cerveau fonctionne ainsi : il vit dans le présent. Il préfère les récompenses immédiates plutôt que les bénéfices futurs. Par exemple, nous avons beaucoup de mal à résister face à l’achat d’un produit attrayant, mais polluant.
- Biais de l’action unique et d’autorisation mentale.
Une seule bonne action pour l’environnement nous suffit à remplir notre part de responsabilité. Par exemple : « j’achète des produits bio, donc je peux m’offrir des vacances à l’autre bout du monde ». Grâce à cette seule action, nous devenons plus enclins à en exécuter d’autres qui sont pourtant nocives pour la planète.
Changer ses comportements et mieux décider
On ne peut pas supprimer les biais cognitifs, ils sont constitutifs de notre fonctionnement psychologique. Toutefois, les scientifiques ont réfléchi à plusieurs solutions et mis en place des expérimentations afin de dépasser nos biais cognitifs, voire les utiliser pour agir dans le bon sens.
Les coups de pouce à l’action : les “nudges”
Une solution a été mise en œuvre par les psychologues Richard Thaler et Cass Sunstein. Elle consiste à orienter doucement les gens, qui restent toujours maîtres de leurs actions, vers un comportement éthique.
Des exemples concrets :
- Des pas verts dessinés par terre qui amènent à la poubelle la plus proche ;
- L’affichage de la consommation des habitants dans un immeuble pour les inciter à la réduire en utilisant le biais de la comparaison sociale ;
- L’installation de cendriers qui permettent de voter de manière amusante : Star Trek ou Star Wars, pain au chocolat ou chocolatine ?
- etc.
L’État emploie aussi les coups de pouce (traduction de “nudges”) par le biais, entre autres, de l’affichage environnemental et de l’indice de réparabilité sur les appareils.
Petits changements, grands effets
Mais la portée des nudges reste limitée. De plus, agir en conscience et améliorer ses capacités rationnelles s’avère plus bénéfique et gratifiant.
La première étape consiste dans la lutte contre le biais d’inertie. Les meilleurs moyens sont :
- de prendre conscience des difficultés d’un changement,
- de commencer petit et précis.
Débutez par un domaine, par exemple, la diminution des déchets. Créez des listes, planifiez concrètement le changement et n’abandonnez pas en cas d’échec !
C’est ce qu’a tenté de faire le projet de recherche-action SENSI-GASPI avec plusieurs familles. Les équipes de recherche ont alors aussi montré l’importance du groupe dans la formation de nouvelles habitudes. L’apprentissage par les pairs, l’échange de trucs et astuces, le soutien et la non-culpabilisation, les ateliers pratiques, l’engagement auprès des autres et la comparaison sociale offrent des résultats probants.
Dans tous les cas, il est alors possible de se positionner en tant que médiateur pour faciliter ces démarches et permettre notamment de faire comprendre et accepter les différences de chacun en cas de conflit. D’ailleurs, voici un petit guide sympathique de l’UBMP pour s’initier à la médiation de conflit.
Pour conclure, que vous soyez un·e futur·e ingénieur·e écologue ou un citoyen déterminé à protéger l’environnement, vous avez pu vous rendre compte de la place que prennent les biais cognitifs dans l’élaboration de nos pensées et de nos décisions. À vous d’en prendre conscience et de vous aider des solutions existantes pour vous remettre en question et agir pour le bien de la société.